Synopsis, 2e partie
Cependant, si le parjure de Pierre d’Aubusson qui entre temps a négocié avec le sultan Bajazet, le frère de Djem, la détention de ce dernier, rapporte à l’Ordre de substantiels revenus, il contrecarre les plans du prince Djem, réduit à néant tous ses espoirs. Lâchement trompé, devenu le jouet impuissant du magistère, Zizim est, pendant des années, exilé en Europe.
Djem est d’abord conduit à Nice, ville qu’il apprécie pour ses femmes avenantes et son agréable climat, puis en terre de Savoie où il rencontre le duc Charles 1er qui devient son ami et son ambassadeur auprès du jeune roi de France Charles VIII ; sous la vigilance des Hospitaliers, s’ensuit alors, en divers châteaux du Limousin, une longue errance, période nécessaire à l’Ordre pour ériger, dans sa commanderie de Bourg-neuf (Bourganeuf), une tour-prison destinée à accueillir le royal captif. Cette tour est présumée protéger Djem des éventuels crimes fomentés par le sultan Bayezid, censée interdire au roi de France toute éventuelle intervention militaire, et supposée dissuader le fils du Conquérant de toute possible fuite vers un pays ami (A la page précédente, aperçu de ce qu’était la commanderie de Bourganeuf à l’époque du prince avec, au premier plan, la fameuse tour).
Aujourd’hui, dans ce village de la Creuse, tout rappelle le célèbre prisonnier du XVe siècle : la rue, l’hôtel, l’auberge qui porte son nom puis, toujours présente, la « tour Zizim », désormais classée. Bourganeuf se targue d’accueillir la plus importe communauté turque en France et tous ses habitants, cinq siècles après sa mort, mahométans comme adeptes du Christ, vénèrent le nom de Zizim, le sultan bien-aimé.
Djem et ses fidèles lieutenants et serviteurs reprennent espoir quand, à la mort de Louis XI et l’avènement de Charles VIII, le jeune duc de Savoie narre à son cousin les conditions de détention du prisonnier de Bourganeuf. Sitôt convaincu que le déloyal d’Aubusson propageait la rumeur d’un Djem « réfugié », abusant en cela le prince et trompant les souverains européens, le roi se fâche, ordonne que soit mis fin à la captivité du sultan et précise : « …Que s’il ne veut y être contraint, l’Ordre doit sans plus attendre libérer le prince ottoman ! »
Démasqué mais toujours avide d’or et de prestige, en contrepartie de divers bénéfices et d’un chapeau de cardinal, le grand maître cède son prisonnier à la seule puissance à laquelle il doit obéissance : l’Église de Rome alors sous le règne d’Innocent VIII.
Dès lors, toujours accompagné de ses fidèles lieutenants et amis, conduit en Italie sous la très haute surveillance de la garde royale et des chevaliers Hospitaliers, Djem sera l’hôte incongru du vicaire du Christ, résidant permanent et insolite du Vatican, et deviendra l’enjeu des plus funestes intrigues. De la cour de France à celle de Hongrie, de Constantinople au Caire et du Vatican à Venise comme à Florence, l’incessant ballet des ambassadeurs et des diplomates ira croissant.
Un des panneaux d’armoiries décorant, à Rhodes, la façade de l’Auberge de France. On reconnaît, à gauche, le blason du domaine des rois de France : D’azur à trois fleurs de lys d’or… Elle porte la légende « Volontas Dei est » et, sur chaque coté « Montjoie sainct Denys » avec le millésime 1495. Sur la droite, les armoiries de Pierre d’Aubusson se blasonnent ainsi : Écartelé, aux premier et au quatrième de gueules à une croix d’argent ; au deuxième et au troisième, d’or à une croix ancrée de gueules. Cet écu est ici surmonté d’une croix latine (à laquelle il manque une branche) et d’un chapeau de cardinal. Sur le tombeau du grand maître, conservé au musée du château de Versailles, une couronne à fleurs de lys remplace la croix.= = = = = = = = = = = = =
Extrait du livre
Février 1482
Réfugié au Caire depuis près d’une année, encouragé par ses partisans et feudataires à reprendre le combat et après avoir reconstitué quelques troupes, Djem reprend le chemin de l’Anatolie. Sitôt informé de cet événement, Bajazet ordonne à Ahmed-Pacha, qu’il tient responsable de la défection d’une partie de son armée, d’envoyer le prince Abdoulah en Karamanie et de le rejoindre, lui, son seigneur, au plus vite. Il convie ensuite tous ses corps d’armée à se rassembler en Asie, dans la plaine d’Aïdos. Puis, comme il tient de son père l’amour de la poésie, il adresse à son jeune frère le message que voici :
Puisque tu peux aujourd’hui te glorifier
d’avoir rempli le devoir sacré du pèlerinage,
Pourquoi, prince, brûles-tu de tant d’ardeur
pour un royaume terrestre ?
Puisque l’empire m’est échu
par un effet des décrets éternels,
Pourquoi ne te résignes-tu pas
aux volontés adorables de la providence ?
Djem, aussi talentueux dans l’art de la poésie que le Sultan son frère, répond par ce distique :
Pendant que tu es étendu sur ton lit de repos,
et que tu passes ta vie dans les ris et les plaisirs,
Pourquoi Djem, privé de toute douceur,
devrait-il poser sa tête sur un oreiller d’épine ?
Lundi 29 juillet 1482,
Rhodes, palais des grands maîtres.
– Vous souhaitez donc, Altesse, gagner les Balkans par voie de terre ? Est-ce trop vous demander quels sont vos projets, les moyens dont vous disposez, et vos arguments pour lever une armée ?
– Certes, Excellence. À peine exilé, l’idée de regagner mon pays était déjà une obsession, et voici cependant quatorze mois que ma fuite honteuse a commencé…
– Par Dieu, Seigneur, n’employez pas ce terme, je vous prie ! Chacun sait qu’en la circonstance il s’agissait pour vous d’une question de survie. Nous sommes suffisamment au fait des règles de l’Empire pour connaître la « loi du fratricide* » instaurée par le Conquérant de Constantinople, votre père.
– Cette loi existe bien en effet, toutefois, rien ne prouve que mon frère l’aurait mise en application.
– Cependant, dans le doute et je vous comprends, vous avez préféré ne pas le mettre au défi. Sans doute n’aurions-nous jamais eu l’occasion et le privilège de recevoir à notre table un sultan de l’Empire.
– Il est vrai, même si je ne connais pas mon frère avec lequel je n’ai été en contact qu’une seule fois, étant enfant, je le sais capable de tout pour m’exclure de l’héritage de mon père. Je lui ai d’ailleurs proposé un partage. Ce qui eût été sage : un empire aussi vaste est difficilement contrôlable par un seul homme, raison pour laquelle les Romains en étaient arrivés à nommer plusieurs empereurs.
– Et quelle fut la réponse de votre frère ?
– Elle n’a rien de sibyllin, Excellence ! Mon frère a déclaré «…Qu’il n’y a pas de parenté entre les rois et que l’empire ne peut être partagé entre deux rivaux. »