Pheraclos

Forteresse de Pheraclos

Lorsque, du vieux village de Rhodes, vous empruntez la route pour vous rendre au site incontournable de Lindos, observez bien sur votre gauche, en bordure de mer, à la hauteur de Masari (où l’ordre possédait une importante plantation de canne à sucre) et surplombant le petit port de Charaki, sur un piton rocheux se dressent les ruines de la forteresse de Pheraklos.

Pour avoir été la dernière résidence de Mourad, le fils ainé de Djem, lui-même ancêtre de la famille Said-Vassallo dont le comte Charles, né à Sydney en 1971, en est le futur prince, elle mérite que l’on s’y attarde. « Mourad était retourné à Rhodes en 1504. Le Chapitre Général, par décret du 17 décembre, avait confié au grand-maître le soin de l’entretien du fils de Djem. Le château de Ferraclos avait alors été dévolu au prince : Il tenait maison comme un grand seigneur, avec un nombreux personnel, et avait pour majordome F. Jean Rafhno, servant d’armes. On ignore les noms des enfants qu’il avait auprès de lui, de même on ne sait si son épouse était toujours de ce monde. » (Bailli F. Guy Sommi Picenardi, grand prieur de Venise, dans son « Itinéraire d’un chevalier de Saint-Jean dans l’île de Rhodes », 1839.)

Histoire de la forteresse

Autrefois forteresse byzantine, bâtie sans doute sur l’acropole d’une ville ancienne, elle est la première place occupée par les chevaliers en 1306 avant que ceux-ci ne parviennent à investir la ville de Rhodes.

Les moines-soldats, alors sous le magistère de Foulques de Villaret, partent le 23 juin de Limassol, résidence de l’Ordre depuis 1291. Avec l’aval du pape et du roi de France, trente cinq chevaliers et un bon nombre de soldats, aidés par un corsaire génois, Vignolo de Vignoli, embarquent à bord de deux galères et de quatre bâtiments de second ordre en direction de l’île convoitée, alors tenue par des pirates et, pour certaines places, par les ottomans. Après un arrêt d’un mois sur l’île de Castellorizo, ils accostent proche du château ruiné de Pheraclos dont ils se rendent maîtres, le 20 septembre, après trois jours de combat. Les chevaliers investissent le 11 novembre le château de Philerme, au centre de l’île, et passent au fil de l’épée les trois cents turcs qui y tiennent garnison. La résistance de la ville de Rhodes dure deux années avant de tomber aux mains des hospitaliers, le 15 août 1308 (les historiens ne s’accordent pas sur le sujet. Certains avancent la date de 1309, d’autres 1310…)
Du château démantelé, l’Ordre réalise les travaux nécessaires pour en faire une forteresse digne de ce nom.

La citadelle est transformée en prison en 1383. Y sont enfermés les chevaliers privés de l’habit (cela laisse à penser qu’ils étaient nombreux !). En 1470, sous le magistère du grand maître Orsini, craignant une nouvelle tentative de la part des turcs d’investir l’île, le Conseil, par décret du 14 octobre, prend le parti de fortifier Pheraclos.

Lors du recensement de 1474, l’île comptait trois Châtellenies, chacune d’elles étant l’une des trois places les plus fortes où les habitants devaient se retirer dans le cas éventuel d’une invasion des Turcs. Ces places étaient Rhodes, Lindos et Pheraclos.

Mourad, fils de Djem

C’est donc une place entièrement rénovée qui est mise à disposition du fils aîné de Djem, en 1504. Après y avoir vécu paisiblement durant près de vingt ans avec les siens alors présents sur l’île, Mourad (ou Amurat) rejoint Rhodes lors du siège de 1522, et tente de s’embarquer sur un des navires de Philippe de l’Isle-Adam. Mais Soliman le Magnifique, qui connaît la présence sur l’île du fils de Djem, ne l’entend pas ainsi. Il le fait activement rechercher et ordonne qu’il soit, avec son fils, sitôt leur arrestation le 28 décembre, étranglés sur la colline de Cosme et de Damien, aux portes de Rhodes, tandis que l’épouse et la fille d’Amurat son enfermées pour le reste de leur vie dans un sérail de Constantinople.

Avant Mourad, les derniers châtelains de cette importante forteresse furent Fr. Pierino del Ponte, d’Asti, qui deviendra grand-maître à Malte (1534-1535), et Fr. Désiré du Puy.

La chute de Rhodes entraîne celle de Pheraclos et le 29, le lendemain de la mort de Mourad, Soliman apprend la capitulation de la forteresse. Les chevaliers et soldats obéissent alors sans doute aux injonctions de l’Ordre, car la place disposait de ressources suffisantes pour prolonger la résistance.

Situation du site

La colline, sur laquelle était élevée la forteresse, qui présente l’aspect d’un cône tronqué, fait saillie dans la mer en forme de promontoire. Elle mesure environ onze cents mètres de circonférence à la base, quatre cents au sommet, et cent cinquante mètre de haut. On accède péniblement au sommet par un escalier escarpé, désormais en ruine, construit de pierres et de maçonnerie.

A l’époque de Mourad, la forteresse ne possède qu’une porte et l’enceinte, avec ses murailles de deux mètres d’épaisseur, présente de place en place des tours rondes en saillie. Mais les tours comme les murailles sont aujourd’hui complètement délabrées.

Une citerne de sept mètres de profondeur sur douze de large est assez bien conservée, et l’on peut deviner les restes d’une ancienne chapelle et de bâtiments sans doute réservés au logement de la garnison.

A quelques pas du bas de l’escalier se trouve l’entrée d’une galerie souterraine de 2 m de haut sur près de 3 de large, d’environ 30 à 40 m de long. Il est possible que cette galerie ait été creusée afin de permettre aux animaux (les chemins d’alors, sur l’île, ne permettaient pas l’emploi des chevaux) de rester à l’abri de la chaleur, difficilement supportable en été.

Alors que les constructions hospitalières de Lindos sont encore visibles, il est permis de se demander pourquoi Pheraclos a quasiment disparu, y compris les imposantes murailles. Les ottomans ont peut-être simplement décidé, au XVIe siècle, de détruire tout ce qui pouvait venir en aide aux hospitaliers pour une éventuelle tentative de reconquête. Nous savons aujourd’hui que l’Ordre y a songé pendant plus de dix années, et nous sommes en droit de penser que le sultan n’ignorait rien du projet…          L’aspect de l’ensemble demeure cependant fort imposant et l’on jouit là-haut d’une superbe vue. Au sud, on aperçoit distinctement le village blanc de Lindos.

Lindos

Lindos, important site archéologique, est fondée par les Doriens au Xe siècle av. J.-C. Elle possède alors deux temples dédiés à Athéna et Héraclès, et une acropole imposante.

Fortifiée dès l’époque byzantine, Lindos devient forteresse hospitalière en octobre 1307. Le grand maître Foulques de Villaret y trouve refuge en 1317, suite à un conflit interne avec l’Ordre et une tentative d’assassinat contre sa personne. Une petite garnison turque est restée sur ce site jusqu’en 1844.

Rhodes, la rue des Chevaliers

Lors de ma dernière visite à Rhodes, en 2011, j’ai déniché la photographie, non dépourvue d’intérêt, d’une gravure de la rue des Chevaliers (Grande rue du Château au Moyen-âge) à l’époque ottomane.

Telle était vraisemblablement la célèbre rue arpentée par Djem au XVe siècle. Selon les témoignages des contemporains, les pavés des trottoirs (surprenant, des trottoirs à cette époque !) sont dallés de marbre provenant de monuments antiques. Elle est traversée, à la hauteur de l’Auberge de France, par une sorte d’arcade ou galerie, laquelle devait permettre aux hospitaliers d’accéder directement au « nouvel hôpital », érigé de 1440 à 1480. La rue possède encore à ce jour une arcade identique à la hauteur des Auberges de Castille et d’Aragon, à deux pas du palais des grands-maîtres.

Vous noterez les quelques marches, aujourd’hui disparues, ainsi que les fenêtres en bois venant en surplomb… Document simplement superbe !

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